sang d'encre

textes, poèmes et chansons de Scherzo
illustrations de V.
L'INTRANQUILLITE

Un objet n'est pas à sa place
Le matin bruit d'un autre bruit
Toute chose une chose efface
Je me réveille avec l'ennui

Plus loin une foule remue
Toute la mer contre la craie
Un étranger dans mon corps nu
Rit méchamment de mes secrets

Elle était Françoise Sagan
Qui aimait les cylindres en V
Aimons qui nous jette le gant
Chaque vie est à relever


IL FAUDRA BIEN

Il faudra bien que l'on se tienne
La main, de peur qu’on ne s’égare
Il faudra bien que l'on en vienne
Aux mains. Que je te prenne à part

Il faudra bien qu’on se figure
Qu’on a le choix de l’embarras
Qu’on offre nos corps aux griffures
Petit supplice délicat

Il faudra bien que l’on en mette
La main au feu. Curieux alliage,
Prestes comme des allumettes
Aux mains de nos enfantillages

Il faudra bien que l’on s’assomme
D’ordure et de propos sentis
D’injures. Injustes que nous sommes
Des gens au cœur comme un taudis

Il faudra bien qu’on se résume
Qu’on fasse un condensé de sexe
Nous fîmes peu, ce que nous pûmes
Avec ce qu’on avait de texte

Il faudra bien qu’on prenne langue
Qu’on se délie du littéraire
Nous sommes des êtres exsangues
Nous ne demandons qu’à nous taire

Il faudra bien qu’on se prononce
Désir et desiderata
Qu’on écorche nos noms aux ronces
Qu’on laisse la peur en l’état

Il faudra bien que l'on s’en tienne
Aux mots et simplement aux mots
Il faudra bien que l'on s’apprenne
A être du même hameau
SEJOUR

Un amour venu des Terres-Basses
Auquel j'aurai su résister
Réfute mes élans de grâce
Pour m’imposer sa dictée

Quoi l’on évoque est révolu
Qui l'on convoque est révoqué
J’étais mon plus obscur despote
Une vie n’est jamais voulue

Allez ! le poème, c’est l’autre
Nous vivons un temps usurpé
Tout ce qu'on a désiré de paix
Fonde notre colère
SOYEZ

Soyez du nombre, j'en serai
Marchez du pas des impassibles
Faites-vous petite et serrée
Ecrivez-moi quand c'est possible

Vous me direz, vous m'en direz
Tant. Moi qui ne peux plus rien dire
Il faudra s’apprendre à prier
Le ciel. Le ciel. Il faut ourdir

Un drap de ciel où vous serez
Echevelée, ensevelie
C'est sûr, je vous y rejoindrai
Puisque nous le sommes promis

Je sais précisément les traits
Tirés qu'avait votre visage
A l'instant que mes bras s'ouvraient
Se refermant sur votre image

Puisqu'il le faut, j'avancerai
Je m'enfoncerai dans la nuit
Je garde en moi la part du vrai
Dans ce monde des ironies
PAS UN POEME

Tous faits d'ombre et de décombres
Impatients du coup de balai
On veut rien que ce qu'on voulait
L'appétit, la lettre, le nombre
L'idéale réalité

Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah
Je suppose que Véronique
Qui est une femme ironique
Va trouver que ce vers est plat
Parce qu’il n’y a que des « ah »

La ruade augmente l'adage
Qui secoue ce monde a raison
Qui se perd se trouve à foison
L'homme est fait de dégringolades
Véronique a toujours raison

Je veux être quelqu’un de droit
Mon Dieu, jamais blesser personne
En chaque personne, personne
Trouve sa troisième personne
Pardon si je fus maladroit

J’ai gagné, je me suis repu
Si l’avare veut qu’on le vole
Et l’ennemi qu’on le console
L’énigmatique être entendu
Je veux moi qu’on ne m’aime plus


photo: Bernard Mahé
PRESQUE

As-tu vécu, qui répond: presque
Homme au visage chamaillé
Toute ta chair d’homme essayé
Riez, les anges de la fresque
Ah mes crapules au beau fessier

Un nom d’emprunt te sert d’empreinte
Homme au visage régulier
Où sont les orages alliés
Tout ton amour est hors d’atteinte
Que vont-ils de toi grappiller

Tu es en moi, je bois ta plainte
Jeune homme qu’on va supplicier
Il faut qu’une bouche d’acier
Morde. Ce bouquet de jacinthes
Je jette aux pieds des fiancés

Lorsque la nuit je me réveille
Je vois le monde avec tes yeux
Je nomme arbre l’arbre. Feu
Qui redonnera l’étincelle
Homme: quelque chose de mieux

TOUTES CES VOIX

Toutes ces voix parlent bien fort
Mon pauvre amour. Je n'ai que toi
D'or et d'ardeur. Fie-toi à moi
Comme on se jette au mauvais sort

Comme on se lève tôt matin
Les poings serrés au fond des poches
Tu vois, je suis ce méchant gosse
Qui court sa petite putain

J'ai peur que tu ne te réveilles
Je crois n'avoir jamais rêvé
Ce que je voulais, je l'avais
Je n'ai dormi que d'une oreille

J'ai vécu d'une seule traite
Comme un animal égaré
Brutal. Un homme séparé
Qui est inquiet pour son inquiète
EMPREINTE AU SOL

Toute vêtue de faux semblants
Tu es au monde le lent
Remuement de la foule
Tu sembles une fille d’avant
A raison de tes longues jambes
Deux cormorans coiffant la houle

Tu as jeté sur ton épaule
Un sac précipitamment
Poitrine, sexe, fesse, nef
Toute part de toi projectile
Avide du temps d’être, agile
Cime d’un aéronef

Tu marches ton pas désigné
Vers le dessein de l’araignée
Cette douceur jetée en vrac
Il te dira que tu es belle
Ton ventre en forme de voyelle
Ses habitudes mises à sac

Comme tout nous paraissait grand
Ce qu’on voulait être le vent
Nous écrasait comme une église
Comme nos pas allaient d’avant
A chaque mot un homme ment
Un rêve, un mort, une cerise

Je t’ai bien connue, ma beauté
Salope, idiote, saleté
J’étais toujours un peu saoul
Ton cul empli de sainteté
Faisait mes quatre volontés
Amour, que m’imputez-vous

Le chien avant qu’on l’assagisse
Fait ainsi l’ombre à sa guise
Que se disputent les façades
L’amour dit vrai mais parle bas
Elle se décide au cas par cas
Celle qu’on serre et que l’on brise

Que je voudrais que tu sois sale
- L’absence a le goût de javel
Toute vêtue de laine claire
Tu trimballes au bout de tes gants
Quelque homicide fringant
Petit mouton, de quoi j’ai l’air

Sauve-toi – Qui te sauvera
Celle qui tombe entre mes doigts
Colle ses pattes au fond d’un verre
Vivre, c’est donner de l’avant
Mettre l’écume au bord des dents
Faire rutiler un blond derrière

Sois garce, sois farce, sois barge
N’attends rien du temps des adages
Bien plus bavard que la tristesse
J’avais un chant, j’avais en charge
De ramener au vent du large
Ceux qui jamais n’ont eu d’adresse

Qu'il soit rendue l’éternité
Aux êtres mus de volupté
Uniquement dirigés Sud
Marche, et je foule ton pas
Mon âme, mon alinea
Marche où que ton corps s’élude

Gamine, au devant des vitrines
Tatouant le sol de tes bottines
Le jour nouveau veut qu’on le gobe
Le jour est l’ogre et l’ami
L’urgence et les intempéries
Petit cheval qui brave l’aube

SI TU CROISES

Si tu croises un soir ma jeunesse
Dis-lui de me laisser en paix
J’ai donné dix mille caresses
A la belle recommencée
Nous nous sommes bien abusés
Si elle réclame mon adresse
Je vis dans un autre passé

Si tu toises un soir mes promesses
Prends garde à lire entre les mots
On n’apprend au curé la messe
Pas plus que la bosse au chameau
Qui me traita de beau salaud
Est aujourd’hui ma maîtresse
Et demain mon coup de sabot

Si tu noies un soir mon ivresse
Dans un bar mal déterminé
Mets-lui le cœur au bord des lèvres
Qu’elle rende ce qu’elle m’a volé
Tout ce que l’alcool a brûlé
La garce, dans son tiroir-caisse
Met ses lunettes sur son nez

Si tu prends un soir ma guitare
Serre-là comme tu serrerais
Cet homme qui n’a pas d’histoire
A qui il faut en fabriquer
Chanter c’est donner la becquée
Recoller sa pauvre mémoire
Qui git comme un jouet cassé
LES HABITS D'HIER

Je vis dans des habits d'hier
Gorgé d'âme suffisamment
Elle m'a trouvé bon amant
Propos tenus d'une écuyère
C’est dire si j’étais content

Je vis dans des habits d'hier
C'est dit ! Cochon qui s'en dédit
Le cul est toujours inédit
Guigner la vie sous ses guêpières
Bibelot très peu aboli

Je vis dans des habits d'hier
Il m'arriva d'être insolent
De me trouver bien du talent
Au pied de ces personnes fières
Qui s'éternuent dans l'air du temps

Je vis dans des habits d'hier
Je bande très assidûment
Qui m'aurait dit le cœur content
D'une trouée dans la bruyère
Vivre mène à l'étonnement

Celui-ci qui lançait des pierres
En l'air. Puis, les beaux sentiments
Celui-ci pense différemment
Repassez vos habits d'hier
J'aime une femme bougrement
LES MAINS

Un jour, nous serons durs à nous comme à nous mêmes
Et le visage source tenu à deux mains
Et l'écorce et la chair tomberont de nos mains
Assis comme les morts qui ont posé les mains
Sur nous. A leurs genoux, nous étions l'amour même
ALTER MEGOT

Je n'ai d'autre chant que l'autre
Mon Hun, ma Hune à foison
Mon jadis, mon jamais, mon dôme
Mon bel idiot, mon idiome
Qu'il est bon qu'on vautre l'autre
J'abonde en son nom, son ombre
Qui dénombrera mes désordres
Au temps venu des salaisons

Depuis que j'ai vent de l'autre
Mon nez n'est plus en apnée
A votre aisselle, il hume, il ose
Respirer la terreur de vivre
La vie peut être améliorée
Si nous parlions d'autre chose
D'accord. Mais pas de rose éclose
Le thème est déjà déposé

Mademoiselle, vous savez
La douleur relie tous les mots
Le monde est un affreux berceau
Nos poumons entre des arceaux
S'enflent d'une terreur grise
L'abîme dépend d'une prise
Il faut aimer même une pierre
Venir en aide aux cerises
MARSEILLE

Je n'aurai de cesse et de cesse
D'être à tout prix l'homme d'avant
Dorénavant dort ma faiblesse
A vos côtés, vastes gisants

Je crèverai de part en part
Déchiqueté de noirs baisers
L'ange des songes y est épars
Où se couche l'amour blessé

Dites, dites, dites encore
Vous, l'éternelle échevelée
Je veux bien n'être qu'un accord
A votre main renouvelée

A la minute où je vous parle
Je prédis des millions d'années
Les pas qui vous ont ramenée
Se perdent en gare Saint-Charles
SAINT-MALO

L’animal en nous est heureux
Qui s’ébroue, qui offre son ventre
Je ne sais à quelle heure tu rentres
Je rêve, je travaille un peu

Les secondes trottent, je songe
La poule noire est-elle perdue ?
A quelle heure dîneras-tu ?
Qu’ai-je fait de ce jeu de ma-jong ?

J’étais un homme au verbe hautain
Parlant fort de choses vulgaires
Me disant émigré sur Terre
A distance entre deux butins

Le réverbère qui s’éteint
Planté comme un grand arbre mort
Me relevait du mauvais sort
Entre la nuit et le matin

Il faudrait n’être qu’un destin
Courir plus vite que la brèche
Pourquoi toute chose m’empêche
Pourquoi toute chose m’atteint
PARTAGE

Je vous dois la moitié de moi-même
L'autre moitié, je l'ai vendue
Au plus offrant, au plus à même
D'offrir un prêt pour un rendu

Je vous dois la moitié de mon âge
L'autre moitié, je l'ai vécue
D'autres en auraient fait bon usage
Dommage ! Que de pas perdus

Je vous dois la moitié de ma rage
L'autre moitié, je l'ai fendue
De haut en bas contre une cage
Vous ne m'avez pas défendu

Je vous dois la moitié de mon or
L'autre moitié, je l’ai fondue
Pour le plaisir qu’offrent les corps
Un coffre fort pour votre cul

Je vous dois la moitié de mon âme
L'autre moitié, je l'ai rendue
A qui de droit. Bonsoir, Madame
Allez réclamer votre dû
AUSSI VRAI

Aussi vrai que je te sais fidèle
Aux orages, aux mages, aux messagers
Aux vents gorgés de sel
Courant sur les genêts
Je veux que tu m'aies pardonné
Aux crues des rivières
A l'arbre abattu
Au sentier de pierre
Les pieds nus

D'aussi loin que je te dévisage
Parmi tes visages clandestins
Je suis de tes voyages
Je danse à tes matins
Ô l'envie d'être au lendemain !
Brisée de fatigue
Riant à nouveau
Tout en moi se ligue
Au jour nouveau


Tout ce qui bat l'aile, et prend la vague
Qui serpente aux sentes, au ventre roux
Me rapporte un présage
Une image de vous
La vie n'est-elle qu'un rendez-vous !
Un meuble qui craque
Un oiseau qui crie
Je sursaute à chaque
Bruit

Aussi vives que nos cavalcades
Nos galops d'alors, nos embardées
Tes grands airs d'algarade
Au baiser refusé
Tu sais que je t'ai pardonné
Violente patience
Nos vies retournées
La carte manquante
L'as-tu devinée ?
PARTIR

Est-ce immérité
A la vérité
Cette sévérité
Des yeux
Serais-tu restée
Si j'avais été
Le plus obstiné
Des deux

Il faut partir
Il faut partir

Gens de qualité
J'en eu quantité
Toi seul excepté
Se firent
Valets empruntés
De cuir blanc gantés
Pour un roitelet
De cire

Il faut partir
Il faut partir


Moi qui me vantais
De rien emporter
Pour réinventer
Le vent
J'ai vu s'éventer
Ce qui me hantait
Il m'en est resté
Du vent

Il faut partir
Il faut partir

Est-il habité
D'une humanité
Ce jouet dévasté
Qui roule
De mains agitées
Bonnes gens, hâtez-
Vous d'avoir été
La foule

Il faut partir
Il faut partir
GUERRES LENTES

Elles sont des guerres lentes qui roulent leurs essieux
Un remuement de foule aux yeux silencieux
Là se trouvait l’abri. Ici l’on s’asseyait
Des guipures pendues au front du châtaigner
Au fat couronnement du tueur d’araignée
Il fallait voir comment s’appliqua à régner
Cruellement l’enfant qui convoqua les cieux


Et l’orage tombait – si la saison s’y prête
Sinon, calumait-on ce bout de cigarette
Butin dument gagné au terme d’une action
Dont j’admire à ce jour la préméditation
Car le cérémonial hait l’improvisation
Je suis un trou du cul – Prime approximation
On me meurt. Quelque idée de beauté me braguette


Evidemment j’aurais pu faire un beau métier
Tournicoté une langue habile et châtiée
Et tant que vous y êtes, idolâtrer une âme
Apprendre à pianoter, et les idéogrammes
Ah merde ! Je m’emmerde à faire du calligramme
Dans le boudoir des hommes, dans le bureau des femmes
Je me fais inconsidérablement chier


Délicieux petits chiens, au ventre doux et tiède
Bornés à faire bois dont on extrait le liège
Mettez en perce une outre abondamment vantée
Gardez-vous bien surtout de mélanger les dés
Tout est dans l’art idiot d’entrelarder idées
Cuisses et doigts de pied, puisse l’art vous aider
A dépêtrer ce qui est poux, ce qui est peigne


Moi, j’étais fait plutôt à prendre la machette
Tailler la ronce, raccourcir du cou esthète
Bûcheronner du fait de mes larges épaules
Du sérieux gabarit, chaussé de large grôles,
Tueur compassionnel. Au souci d’être drôle,
Emasculer du rédacteur en chef. Ses molles
Couilles faisant triptyque à son éthique tête


Si la sottise vous tient à vivre, vivez
Si vous savez écrire un poème, écrivez
Un poème. Qu’il soit lent comme un théorème
Ou bien précipité comme une nuit à Brême
A Brême… S’il plaît à dieu, sa sainte mère daigne
Sous ses dessous cacher ma haine, entre deux beignes
Allez. Méprisamment. Criez. Disparaissez.
IMPASSE BEAUSICOUR

Nous habitions ensemble impasse Beausicour
Il y avait un chat féru de sarabandes
Un ciel se découpait exact sur la cour
Nous allumions la lampe avant la fin du jour

Nous habitions ensemble impasse Beausicour
J'avais ce piano noir, ce vase aux fleurs penchantes
Aux fenêtres tombaient deux rideaux de velours
On eût dit un vaisseau s'il n'eût été si lourd

Nous habitions ensemble impasse Beausicour
Un couple s'abritait de la même houppelande
A la pluie de novembre, pour un baiser d'amour
La voisine pendait son linge haut et court

Nous habitions ensemble impasse Beausicour
Des enfants s'y nichaient, accroupis dans l'attente
Qu'on les y dénichât. Les moineaux du faubourg
S'envolaient en volée, sans adieu ni bonjour

Nous habitions ensemble impasse Beausicour
Un tilleul étendait jusqu'à nos doigts sa branche
Il faudra que tu viennes avant la fin du jour
Maintenant que la vie nous a joué ses tours
JE PENSE A VOUS

Puisque les jours s'en vont
Tels des ballons
A quoi bon de tenir
A les retenir
Puisque les jours se passent
A se passer de tout
Pas un pli de l’espace
Où je ne pense à vous

Puisque ces jours ne furent
Qu’un parjure
Une offense, un raffut
Un refus
Puisqu’on rosse les roses
Les anges à angle droit
Pas un jour ne se pose
Où je ne pense à toi

Puisque la mer ressasse
Ses ressacs
Ses lames, ses galets
Egalés
Ce que l’aile dessine
A la mine de plomb
Plus un jour ne se signe-
ra de ton nom

Puisque les gens te pensent
L’indolence
Alors que ton cœur bat
Au combat
Puisque les gens te disent
Ce que disent les gens
Pas un jour ne se glisse
Entre toi et le temps
INVITE

Je me suis assis à la table
Où j’étais peut-être invité
Ils m’ont dit : vous pouvez rester
Rester ! Je vous ai inventés,
Vous, jusqu’au chien sous la table

Alors, j’ai posé cul par terre,
Repu et le corps éreinté
Quémandant le droit d’exister
Comme si rien n’avait été
Que tout était que poussière

Il est des festins qui m’affament
Qui sait qu’il est du bon côté ?
J’aime qui tremble au plein été
Nul bonheur n’est prémédité
Qui hurle en ce monde a une âme

Le monde est un songe qu’on ronge
Bons cons. Je suis ce chien crotté
Pissant sur votre vanité
Je vis, et je m’en suis vanté
Je suis exempt de vos mensonges

Et je serai dernier comptable
Je disant je, c’est vérité
En nombre de nombre d’étés
De ceux, immensément été
Alors, je quitterai la table
L’APPEL

Tant et tant à perdre haleine
Samba du sang dans tes veines
Va ! Va ! Et que ne te retiennent
Ni ces voix qui te gouvernent
Ni ton devoir de gardienne
Va ! Va ! Et que je t’y reprenne !

Cet appel, ma fugitive
Ma craintive, ma captive
Cette nuit, le vent t’exhorte
Au tumulte de la horde

Pour autant que me souvienne
Celles qui se disaient miennes
Va ! Va ! M’ont vu faire des miennes
Ni les voix qui me gouvernent
Ni l’étreinte, ni l’étrenne
Rien, rien ne guérît de la peine

Cet appel à faire nombre
Avec les gorges de l’ombre
S’évaporer dans la flaque
Claquer son cœur dans un claque

Tant et tant à perdre haleine
On ne fuit que ce qu’on aime
Va ! Va ! Et qu’à cela ne tienne
Quelques jours, une semaine
Feront de toi ma prochaine
Va ! Va ! Et cours et me revienne

Ce rappel d’ombre et de braise
De la voix qui nous apaise
De la voix qui nous transporte
Au-delà des années mortes
FANTAISIE D'ANTOINE DE SEILLIERES

Trop de Fred. Personne helle...
De chars. Je dis : "verse !"
Des mots lus. Mendie vers
De sales airs à tyrans !
Et les cons, j'ai payé...
La photo, trente seins, coeur !
C'est dans les lits sans ciment
Consonnes : "La la li !"
Cédant les licences immenses
- ses dents, Leili, sans scie. Mancé
dans Leili sensible ment.
C'est dans Leili sans cîme. Han !
On est marge. On est conne
Omise, toute la vie.
Il, napalm, vulve, hennir
Le chaud Mage
PUISQUE TES JOURS

Puisque tes jours ne t’ont laissé
Qu’un peu de cendre dans la bouche
Un goût de rouge à tes baisers
Tu déclamais Paul-Jean Toulet
Dévalant la rue qui roulait
Du Fort d'Ivry jusqu'à Montrouge

Puisque toujours les marionnettes
Remueront les fils de nos têtes
Et les regrets
Tu le sais mieux, toi que personne
Sont chauds comme soleil d’automne
Après l’été

Nous avons tant laissé d’ardoises
A tous les comptoirs, où narquoise
La Mort tient la caisse en riant
Tangué, chaloupé. Brinquebalent
Encore nos corps, vaille que vaille
Comme on avait le cœur confiant !

Puisque l’amour n’aura pas lieu
Puisque jamais tu n’auras d’yeux
Et de regrets
Que pour cette belle à venir
Souviens-toi de te souvenir
Qu’elle est passée

Puisque l’on va se réveiller
De cette vie longue à rêver
Qu’un jour se passera de nous
Nous n’y serons plus pour personne
Ni pour les cons, ni pour les connes
Reviens me voir à pas de loup

Redis-moi la chanson touchante
La chanson blême et haletante
Et obstinée
Redis-moi la chanson lointaine
Que nous chantait l’eau des fontaines
Au plein été

Puisque l’on parlera de toi
A mots couverts, à peu de voix
Comme l’on convoque un remords
Puisque le chaud de ta parole
Puisque ce poids sur mon épaule
Absent. Mon ami, chante encore

Puisque nos pas se sont perdus
Et que peine est peine perdue
Et les regrets
Tous les trottoirs sont des miroirs
Toute chanson est bonne à boire
Et à pleurer
LIBRE

Ne te soucie pas d’être libre,
Petit. Le monde nous délivre
De nous comme un lacet défait
Tant qu’à tes doigts la corde vibre
Et qu’au poignard chante la cible
Tout n’est que changer de danger

Ne te soucie pas d’être fort
Petit. On t’a donné ce corps
Deux bras pour embrasser demain
Et cette longue faim de mordre
A tant d’amour que tu t’endormes
Un fruit à portée de ta main

Ne te soucie pas d’être beau
Petit. Les miroirs disent faux
Aussi longtemps qu’ils ne se brisent
Tu seras mi-Dieu, mi-taureau
Pour devenir l’homme de trop
D’elle, que tu nommais promise

Ne te soucie pas d’être digne
Petit. Laisse la droite ligne
A ceux qui salivent leur soie
Sois singe et l’ange aimant les signes,
L’aube, le vent courrant la vigne
La femme qui n’est pas à soi

Ne te soucie pas d’être vieux
Petit. Moque-toi des adieux
Comme d’ennuyeuses conquêtes
Que vivre est irrévérencieux
Si l’on était des gens sérieux,
Alors, pourquoi tant de violettes ?
MON COMPTE EST BON

- 1 -
Je me soustrais
Tu me sommes
Sans retenue
Tirer un trait
Sur les hommes
Que j’ai connus
Vois-tu si tu
M’abandonnes
Tu me tues

Ils m’ont aimée
Par effraction
J’les ai quittés
Par distraction
Pardon si j’omettais
D’en faire mention


- 4 -
Tu multiplies
Les prières
Faire une croix
Tu m’en supplies
Sur mes frères
Mes feux de joie
Je ne suis faite
De pierre
Ni de bois

J’leur ai souri
Sans intention
Ils m’ont suivie
Sans exception
Pardon d’avoir menti
Par omission

- 2 -
Tu serais
Maître d’école
Moi l’ingénue
Mise au piquet
Tu me colles
En retenue
Sais-tu que tu
Me rends folle
Tu me tues

J’leur ai donné
La permission
De me quitter
Sans sommation
Tu vois, je n’me berçais
Pas d’illusions

- 5 -
Je ne comptais
Sur personne
Jamais je n’eus
Jamais été
A personne
Et puis j’ai su
Ta main qui sur
Moi se pose
Epaule nue

Toi qui doutes
De tout et de toi
Une fois pour toute
Ecoute-moi
Idiot ! Je suis toute
Au bout de tes doigts (bis)
- 3 -
Tu me reprends
Tu me prouves
Epouvantée
Que je mens
Je m'en ouvre
En toute honnêteté
Moi l'inconnue
Tu me trouves
Irrésolue

J'lai ai perdus
De vue, de voix
J'lai ai revus
Comme je vous vois
Pourquoi
Se mettre dans
Un tel état ?
NI

Ni miroir aux alouettes
Ni festin ni miette
Ravie et rêvée
Nie de tes yeux amandes
A qui te demande
Ce que tu savais

Ni prison ni brisure
Ni clé ni serrure
Nul mot sur la page
Ni désir imposture
S'il y eût d'aventure
Ni prêteur ni gage

Rien qu'une aventure
Un pas de côté
Un fruit de chair dure
Mordu d'un baiser

Ni rançon ni rancune
Ni larme importune
Ni visage en feu
Ni par jeu ni parjure
Ni mot ni rature
Ni même un aveu

Ni matin d'insomnie
Ni sanglot long. Ni
Soleil condamné
N'y pensons plus c'est l'heure
De remettre à l'heure
Nos vies arrêtées

Rien qu'une passade
Un chagrin qui passe
Une mascarade
Qui salit les yeux
NOUS NE SOMMES

Nous ne sommes pas faits pour vivre
Chaque preuve est un démenti
Nous sommes des enfants grandis
Nos yeux ne sauront jamais dire
Plus loin que des choses normales
Je suis resté comme interdit
Tout ce qu’on veut, peut-être vivre
Encore, après qu’on a menti
Je veux que ma vie soit banale

Nous ne voulons plus de bataille
Nos corps sont des morts à porter
Notre avenir est reporté
Plus loin que se joignent les rails
Je m’en foutais. Peut-être dus-je
De mon vivant m’être inquiété
Mon Dieu, je n’étais pas de taille
L’amour très hors de ma portée
Tu sais, moi j’attendais le bus

De honte ou par délicatesse
Il fallait être ressemblant
Celui debout au dernier rang
Assidu à la raie des fesses
Etre né pour nommer personne
Etre rendu si vite au vent
C’est misère et c’est ma tendresse
Mon dernier soir d’engoulevent
Dis-leur que je n’aimais personne
QU'AVONS-NOUS A NOUS DIRE ?

Qu’avons-nous à nous dire
Que nous ne soyons dit
Qu’avons à sourire
Comme des abrutis
Des imbéciles heureux
Qui ne savions que dire
Malhabiles à ce jeu
De nous appartenir

Qu’avons-nous à nous rire
De nous, de vous, et d’eux
D’ailleurs meilleurs ou pires
Sommes-nous, dites-nous
Dites-moi dans les yeux
Ce que mes yeux vous disent
Comme il tarde à venir
Ce bâtard d'avenir

De vie, on en a qu’une
Et parfois moins que d’une
Pour certains, pour certaines
Elle est très incertaine
Ô chevaux des manèges
Ô bons chevaux de lune
Vous êtes comme neige
Au piano qui s'enrhume

On s'est tendu vers l'autre
A se tordre le cou
L'autre, ce beau Désordre
Qui nous fit le cœur fou
L'envie fût la plus forte
Et j'ai forcé ta porte
Avec la peur de vous
Rends-moi ma faim de loup

On n'a fait que de naître
Un petit être nu
J'étais heureux de n'être
Que le peu que j'ai pu
Mon Dieu, si je fus maître
En ma maison, peut-être
C'est d'un chien disparu
Au tournant de la rue

Qu’avons-nous à nous dire
Que nous ne soyons dit
Laissez-moi me dédire
De tout ce que j'ai dit
Passez-moi par profits
Et pertes, c'est l'usage
Je suis voleur de pluie
Un trafiquant de sable
SIGNATURE

Sur le papier bleu de mes veines
Se lisent les sales poèmes
Faits seulement d’une rature

Je voyais au ciel les nuages
A l'âge où l'on joue les adages
J'ai décidé d'une attitude

C’est mon venin, c’est ma nature
Si contre blessante figure
Je mets au vent tous mes nuages

J'ai cru en l'amour crudité
Aux yeux de la sévérité
Je réponds des crimes du large
TANT D’EAU

Tant d’eau aura coulé sous
Les ponts, dis chérie sou-
vent la vie nous fût douce
Les crin-crins du printemps nous
Etreignaient à genoux
Déjeuner sur la mousse

C’était le temps du nougat
Des gammes, des regards
Egarés sous les jupes
Des yeux fous qui s’amadouent
Avoue qu’ils étaient doux
Ces baisers sur ta nuque

Qu’il est gai, qu’il est joli
Le gai, le joli mois de Mai

Attendu - c’est entendu
Que l’on s’est étendus
Une heure au moins sur l’herbe
Un drap de ciel étendu
Sur nos corps attendus
Aux paumes des mains vertes

Eu égard aux égarés
Qui se sont révoqués
Au quai du trolleybus
J’ai composé ces couplets
Chantant comme un couperet
Tombant sur un gibus

Qu’il est gai, qu’il est joli
Le gai, le joli mois de Mai
LE PAS DU JOUR

Les ribambelles ont niché ce jour
Tantôt j'irai leur toucher deux mots
C'est vrai. Est-ce que je me radicelle
Moi, Fichtre de bouc enrubanné !

Dignité. Dignité. Dignité.
En chemin je me violoncellais
Mais après qu'elle m'eût énuméré
Je mis mes pas dans le pas du jour
BELLIGERANTE OMBILLIFERE

Belligérante ombellifère
Je n'eus de cesse d'être aimé
de vous. Ouverte sitôt refermée
Végétalement aurifère

Je vous mâchouillais. Toute fière
Rageusement élucidée
Les premiers mots d'une prière
Apprise et jamais possédée

Ne soyez jamais solennelle
Ne dites jamais J'ai aimé
Le suc est intact. Sous l'ombrelle
de nos bras, nos nuits arrimées
JAWAD K.Fe

Poussez la porte du Jawad K.Fe.
Elle est de ces portes qui peinent sur leur pêne, qui rechignent et font signe qu’il est nécessaire d’entrer.
Qui nous emportent à l’emporte-pièce.
Où, dit-on, porte à porte le chat beauté.
Derrière cette porte, que sais-je… ce sont des anges pleins d’engelures, dangereux d’aventure,
Qui colportent un vin âcre et doux comme l’espoir.
Derrière cette porte, c’est la musique qui se fait chair et des corps qui se frôlent comme l’archet.
Une main sur l’épaule, et de vouloir à nouveau être drôle.
Et mettre ses derniers fers au feu.
Et la parole, plus que tout la parole, comme jamais la parole.
Dans le symbole des cymbales.
Il faut avoir été triste un soir, pour savoir qu’il n’est que des portes à pousser.
Ce que les portes nous apportent.
Si loin qu’elles nous emportent, quoi de lourd qu’on ait à porter.
Poussez la porte du Jawad K.Fe.
A Paris, que l’on perde ou que l’on gagne, où tant de gens se sont aimés.
AZERTY

Béguin, dédain de figurine
Parmi ta queue ostentatoire
Rôde un trou du cul rose et noir
Texte imposé que je dessine

Ami doux et méticuleux
Rentre ta griffe en son fourreau
L’article fait deux mille mots
Si je le rends demain, c’est mieux

Si je le rends après-demain
Tu es un grand chat, tu devines
Je ne vivrai pas de rapine
Ne mettrai personne au tapin

Mais sur mes notes, un coup de patte
De la dextre ou de la sinistre
Qui fera état qu’un ministre
Se rend vendredi au Carpates !
MON BEAU JOURNAL

Mon beau journal vite froissé
Ma chair d'arbre où coule un sang d'encre
Demain, comme un jouet cassé
Dis-moi la promesse du ventre
OUAH !

A quoi ça tient
Que l'on s'attache
Que l'on se fâche
Pour un rien

Que je te sache
Toujours là
Sinon je lâche :
« ouah ! ouah ! ouah ! »
LE PRIX A PAYER

En or, en ducats sonnants
Trébuchant au vent mauvais
J’ai donné ce que j’avais
Toute ma menue monnaie
De singe savant

Parmi quarante voleurs
Entre autres célébrités
Au banquet des vanités
J’ai payé l’énormité
D’être l’un des leurs

J’ai tenu mon rang d’honneur
Au menu fretin frotté
Prononcé la pauvreté
Qui sied aux solennités
Pour un crève-cœur

En l’espèce, en l’espérance
Le dernier de mes deniers
Gratté aux sentiers âniers
Ne me fît même gagner
La seule indulgence

Mes livres, mes délivrances
Mon dernier sol emprunté
Ronds que fait l’onde, Etés
Yeux, bras, draps refermez-
Vous sur mes créances

J’aime que tout se monnaie
Vide poches et tire-laine
Hautain autant qu’on le feigne
Epris comme poux au peigne
Des nuits parfumées

La prunelle de mes yeux
M’a coûté supplément d’âme
Ci-devant d’entre les femmes
Réclamant être ma femme
Jusqu’au bout des cieux

Nous sommes gens déguisés
Chattemite et patte blanche
Saut de carpe et bond de l’ange
Je chante autant que je change
Je suis qui j’étais

Il faut qu’un petit cheval
Fasse ses tours de manège
Verse-t-il ou bien qu’il neige
Se sort-on d’un sortilège
Tue-t-on Carnaval ?
PESER

Peser le moins possible.
Le juste nécessaire
Pour garder pied sur terre

Être soi, réversible
Toute chose et l'envers
Le commun des possibles

Changer d'air et d'éther
Savoir et laisser faire
Gagner de guerre lasse

Il faut que vie se passe
Farce des métatarses
De quoi aurions-nous l'air ?